"En
démocratie on ne se querelle pas n’importe comment "
 |
Moise Albert Njambe |
Face
à la déception vécue par les camerounais du fait de l’élimination précoce des
Lions indomptables de la coupe du monde 2002, après une gestion controversée, situation aggravée par
l’immaturité dans la préparation du double scrutin initialement prévu le 23
juin le baroudeur de la société civile était face à la presse nationale et
internationale le 22 juin dernier. Le thème de l’entretien était "maturité
démocratique et condition du succès des élections de juin 2002 : la prise
de position de la société civile". Après le report de ces élections par le
chef de l’Etat pour le 30 prochain, la Tribune d’Adama est allée à la rencontre
du président national de Sos Dialogue. Dans l’interview vérité, il nous a
accordé le Dr Njambè apprécie le processus démocratique africain, la justice
camerounaise, condamne la violence d’où qu’elle vienne. Lire
La Tribune d’Adama : Dr Njambè, les camerounais
choisiront dimanche prochain leurs conseillers municipaux et leurs députés.
Pouvez-vous nous expliquer les enjeux de ce double scrutin pour lequel on se
bat déjà à Balikumbat ?
Dr Njambè :
la question électorale est cruciale et reste le fondement des enjeux
démocratique car, elle est au cœur de la crise du pouvoir par une légitimation
populaire. Elle permet au citoyen de confier leur destin à des représentants
durant une durée déterminée c’est aussi l’occasion donnée au groupe les plus
vulnérables, les plus insignifiants d’exprimer leur point de vue sur la
tentions que ces dirigeants leur ont ou non porté.
C’est
le lieu de sanctionner des dirigeants
sortants ou candidats entrants qui n’ont pas travaillé, ni construire les
routes, qui les ont abandonné sans médicaments, sans nourriture. C’est le lieu
de dire non à tous les candidats qui ont pour une raison ou pour une autre, ont
trahi la confiance à eux accordée dans leur vie de tous les jours ou lors des
dernières consultations.
LTA : Dr
Njambè, si l’on vous demandait d’apprécier la maturité politique africaine,
quel bilan dresseriez-vous ?
Dr Njambè :
tenter de parler du bilan des années de démocratie en Afrique est une tâche
fastidieuse à laquelle nous ne pouvons souscrire en quelques minutes.
Disons
en général que le bilan semble à tous
les points de vue discutables. La maturité suppose une phase de naissance, dirait-on de reconnaissance, que nous situons
dans les années 90. Une phase de croissance qui à nos yeux reste en cours dans
la plupart des pays, et une phase de maturité dans laquelle se trouvent le
Sénégal, le Mali, l’Afrique du Sud, le Ghana, et bien d’autres. La position de
maturité peut s’annoncer très tôt. Une telle position doit être défendue,
entretenue, renforcée. C’est une quête permanente.
Il
faut tout de même dire qu’alors que nous espérons voir la plupart des
démocraties africaines toquer à la porte de la maturation, l’on assiste à des
troubles de puberté ça et là, à un nanisme démocratique ou un retard de
croissance par ci, par là à des reculs
démocratiques donnant lieu à des systèmes autocrato-démocratiques conduisant fatalement à des guerres
civiles et à la violence, politique.
De
l’autre côté, l’impatience des opposants et
la démagogie de certains de leurs leaders, les conduit à recouvrir à la
violence, quitte à mettre leur nation à
feu et à sang.
On
assiste à une crise de légitimité découchant sur un cercle vicieux. Les lois
devant définir les règles du jeu consensuel sont prises unilatéralement par les
gouvernants à la légitimité contestée qui se servent des institutions querelles
qu’ils dominent pour légaliser et donner autorité aux dites lois. Par ailleurs
les oppositions africaines sont promptes à refuser le verdict même dans les
conditions d’équité et ce avant même de concourir. Les parlementaires
contestant les règles du jeu, la compétition
est viciée dès le départ. L’on assiste soit à la défection d’office des
concourants, d’où de nombreux boycotts avant la compétition ou alors à des
protestations bruyantes entrainant parfois des actions de violence.
Le
problème fondamental de la démocratie est la combinaison de l’entente et de la
contestation.
LTA :
Dr
Njambè, samedi dernier déjà, vous étiez face à la presse au Hilton hôtel de
Yaoundé pour une conférence sur le thème : « Maturité démocratique et
conditions de succès des élections de juin 2002 au Cameroun : la prise de
position de la société civile ». Quelle réaction vous inspire la décision
du Chef de l’Etat de reporter ce double scrutin ?
Dr Njambè :
La décision du Chef de l’Etat de reporter ces élections traduit bien l’urgence
et l’opportunité qu’il y avait. 24 heures à l’avance, à attirer l’attention, de l’opinion publique nationale
et internationale sur les appréhensions nées du désordre général enregistré autour de l’organisation
de ces deux élections dimanche derniers.
A la lecture des coupures des journaux, au regard des accusations émanant des
différents acteurs de la vie politique et selon les informations parvenues à
l’observatoire de Sos Dialogue, il y a lieu de relever que ce scrutin ne
pouvait pas se tenir dans les conditions optimales telles que souhaitées dans
une démocratie dans ce délai du 23 juin.
LTA : Quelle lecture Sos Dialogue et la Coordination
africaine de la Société civile font-elle de cette décision du Chef de l’Etat de
cet échec qualifié par certains confrères de honte ?
Dr Njambè :
Il faut dire d’abord que cette décision de report est hautement salutaire pour
notre démocratie et pour la paix dans notre pays. Je voudrais saluer ici le
courage du Président de la République, sa détermination à vouloir rattraper
l’irréparable, nous étions là en face d’un titanic électoral. C’est donc
un acte de courage que le chef de l’Etat a posé, lui qui a reconnu que son
administration est incompétente, qu’il y a péril en la demeure. En relevant certains hauts responsables de son
administration et en les sanctionnant dans le future, le chef de l’Etat s’est
dédouané, bien que cela n’enlève rien au fait qu’il s’agit là d’un scandale.
C’est cette leçon d’humilité et de sécurité politique que toute la classe
politique de mon pays doit retenir.
Nous
demandons aux populations de ne pas prêter l’oreille à tous ceux qui voudront
tirer profit de cette situation en les incitant à la violence, à la révolte et
à la bagarre.
LTA : Certains confrères estiment que le Chef
d’Etat a sa part de responsabilité dans
cet échec : d’autres vont plus loin en exigeant sa démission. Avez-vous un
commentaire à faire sur ce sujet ?
Dr Njambè :
Notre république est solide, nos institutions républicaines sont fortes. Si le
chef de l’Etat était incompétent avec son équipe, alors tous les présidents des
partis politiques de l’opposition le sont aussi. Car après cinq années, ils ont été incapables de
déposer la moindre liste de leurs candidats à temps. Ce qui laisse croire
qu’ils étaient en fait pire s’ils étaient en charge de la gestion des affaires
publiques. D’autres ont des députés accusés de trafic de drogue, la gestion de
leurs mairies ne fut pas exemplaire, les fonds des micro-projets parfois
détournés… etc. oui, nous sommes tous incompétents, ressaisissons-nous.
LTA : Le chef
de l’Etat a donc repoussé d’une semaine le déroulement de ce double
scrutin, croyez-vous ce délai suffisant aux nouvelles autorités pour être à
jour dimanche prochain au regard de toutes les difficultés relevées ?
Dr Njambè :
Nous aurions voulu qu’on laissa plus de temps à la nouvelle administration pour
qu’on puisse atteindre l’excellence dans l’organisation de ces consultations.
Mais nous espérons que l’évaluation de la situation permettra à nouveau d’être
à jour. Si cela n’était pas possible, il serait souhaitable de tous les partis
politiques engagés dans le jeu électoral pour déterminer une date consensuelle
avec des moyens financiers additifs conséquents, pour que le Cameroun triomphe
de cette épreuve dont nous sommes collectivement responsables.
Aujourd’hui,
les petits partis engagés dans cette compétition et leurs délégations
respectives n’ont même plus de quoi manger dans les villages. Mais si
l’administration, après avoir évalué froidement la situation, dispose des moyens humains,
financiers et matériels pour être à jour au 30 juin, ce qui suppose que tout le
matériel électoral ait atteint les quelques 18.000 bureaux de vote de la
république et en bon état, alors la date du 30 juin doit être maintenue. Je
crois les nouvelles autorités capables
de relever le défi.
LTA : Cette décision de report paraît-elle
suffisante pour rassurer le peuple camerounais ?
Dr Njambè :
Nous l’avons déjà dit, la décision de report satisfait tout le monde.
Toutefois, le peuple attend, non seulement que des sanctions soient prises,
mais que toute la lumière soit faite sur les dérapages orchestrés. Nous croyons
qu’il est temps de remettre les gens au travail ; que le chef de l’Etat
prenne le mécanisme de la sanction non pas seulement pout cette affaire mais
aussi pour d’autres pendantes. Car il se dessine comme une tendance générale à
la démobilisation de l’administration à la course à l’argent, et ce chaos sans
l’organisation électorale cache aussi des marchés donnés à des copains sur le
dos de l’intérêt général. Je crois qu’il faut, à travers la presse et d’autres
canaux que nous avons que l’on puisse dira la vérité au chef de l’Etat qui est
déterminé à apporter la prospérité et la démocratie qu’il est en train de
construire chaque jour.
LTA :
Président
et si l’on évoquait la question du
vieillissement de nos élites politiques et de nos cadres. Le président de
l’Onel, le ministre de l’Administration territoriale et le premier ministre ont
été tous évacués laissant la république sans garde. Et l’actuel ministre d’Etat
secrétaire général à la présidence était déjà en charge du dossier électoral.
Dr Njambè :
Votre question, aussi pertinente qu’elle soit, m’amène à vous dire que nous
avons pas assez de recul sur cet évènement. Nous avons ouvert à Sos Dialogue
l’Observatoire des Observatoires et tout le monde qui a une idée autour de ce
sujet est le bienvenu pour que nous puissions apporter à notre manière des
informations permettant de contribuer davantage à la manifestation de la
vérité. Mais la nomination des personnes d’un certain âge ne disposant pas
d’une bonne santé à des hautes fonctions de la république, est susceptible de
manière directe ou indirecte à créer ce genre de situation. Il ne faut pas
confondre un cas de maladie à la vieillesse. Son Excellence monsieur le Premier
ministre est jeune, fort et a été
victime d’une maladie. Vous-mêmes et moi, nous sommes jeunes et forts mais un
homme en santé n’est-il pas malade qui s’ignore. Il y a des vieux robustes,
bien portants et lucides. Ce faisant, je voudrais bien dire que les services de
renseignements devraient avertir la haute autorité sur les cas d’un certains
nombre de vieux serviteurs de l’Etat. Nous savons qu’il y a d’autres qui
disposent d’un état de santé plus compétitif que celle des jeunes, qui font du
vélo chaque fois qu’ils peuvent, qui sont toniques. Nous ne disons pas qu’il
soit nécessaire d’engager un conflit entre les jeunes et les vieux. Mais nous
disons qu’il faut bien aller vers le rajeunissement des élites quelles que
soient les tares et la déception que les jeunes d’aujourd’hui offrent à cette
république. Ils sont des milliers comme cela dans l’administration qui nous
déçoivent. Malgré tout, nous disons qu’il y en pas une autre solution que d’avancer vers le rajeunissement
de la classe administrative de ce pays.
La tribune n°018 de Juin 2002